Le père est-il le bon ?
Il est fréquent de rencontrer au fil de nos recherches des couples qui se marient et légitiment des enfants qu’ils ont eus, ou que madame a eu d’un autre, hors mariage. La plupart du temps, pour mes ancêtres, il s’agissait de légitimer un enfant né quelques mois avant le mariage parce que les fiancés s’étaient montrés un peu trop pressés. Et dans ces cas-là, l’enfant était déjà reconnu par le père sur l’acte de naissance. Mais il y a un cas, dans ma famille maternelle, pour lequel on ne sait pas vraiment quoi penser : l’histoire de mes ancêtres Claire Charrin et Joseph Nicolas.
Claire Rose
Charrin est née le 17 octobre 1792 à Orange et a été baptisé le même jour.
C’est la première enfant d’un couple de modestes cultivateurs, Jean-Baptiste
Charrin et Victoire Martin. Elle tient son prénom de sa marraine, Claire
Aillaud, mais elle sera parfois juste appelée Rose, son deuxième prénom qui lui
a été transmis par sa grand-mère maternelle, Rose Rome, aubergiste à
Villes-sur-Auzon, au pied du Ventoux.
Claire Charrin
vient d’une famille assez pauvre et ne reçoit pas d’éducation. Elle ne saura
jamais signer et on sait que le 15 juin 1833 le maire d’Orange lui délivre même
un certificat d’indigence.
En 1816 elle
est domiciliée rue Villeneuve à Orange (près de l’actuel boulevard Edouard
Daladier) et travaille comme ouvrière dans une usine de filature de soie. Le 27
mai de cette année 1816, à dix heures du soir, elle donne naissance à un enfant
naturel qu’elle prénomme Etienne Eutrope. Elle attend jusqu’au 7 juin suivant
pour le déclarer en mairie et, au lieu de lui donner son nom, soit Charrin,
elle lui choisit le patronyme de Nicolas, détail qui a son importance.
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Ouvrière du Dauphiné filant la soie des cocons (issu de l'ouvrage Le Tour de France par deux enfants, G.Bruno, 1904) |
On perd
ensuite la trace de Claire Charrin jusqu’au 20 juin 1833. Ce jour-là, âgée de
40 ans, elle se rend au tribunal civil d’Orange pour demander l’inscription sur
les registres de deux autres enfants naturels qu’elle a eu plusieurs années
auparavant et dont elle a « omis » de déclarer la naissance. Les deux
enfants sont nés à Orange, le premier Michel Elzéar le 28 septembre 1818 et la
deuxième, Marie, le 25 novembre 1819. Contrairement à Etienne Eutrope qui
grandit avec « Nicolas » comme nom de famille, les deux autres
enfants de Claire étaient connus sous le nom de Charrin, soit le nom de leur
mère.
L’histoire aurait
pu s’arrêter là mais une semaine plus tard, soit le 26 juin 1833, Claire Rose
Charrin se marie avec un certain monsieur…Joseph Nicolas, âgé lui aussi de 40
ans ! Les deux époux légitiment par la même occasion les trois enfants
naturels de Claire et déclarent qu’ils sont tous trois issus de leur relation.
Devant une
telle situation le généalogiste doit se poser la question suivante : le
père qui légitime est-il véritablement le père biologique des enfants ?
Avec ce mariage célébré presque 14 ans après la naissance du dernier enfant
(Marie, née en 1819), on peut en douter. S’agit-il d’une histoire d’amour
contrariée ou du geste généreux d’un homme encore célibataire à 40 ans qui
trouve là des héritiers tout faits ? Seulement, la coïncidence est trop
grande quand on se rappelle du patronyme choisi par Claire pour son premier
enfant : Nicolas. De plus, les deux garçons de Claire, Etienne et Michel,
âgés de 17 et 15 ans, exerceront plus tard la profession de maréchal-ferrant,
comme Joseph Nicolas.
Alors, si
Joseph Nicolas est bien le père des enfants de Claire, pourquoi cette relation
est-elle restée si longtemps illégitime ? Les deux mariés n’étaient pas du
même milieu social, les Nicolas étant une famille de cardeurs et étaient un peu
plus aisés que les Charrin, famille très pauvre de cultivateurs. Y-a-t-il eu
opposition des parents Nicolas ? Surtout que Joseph était leur seul
héritier mâle et que le mariage a eu lieu à peine quatre mois après le décès de
la mère de Joseph Nicolas. Ce dernier, âgé de 40 ans, n’avait d’ailleurs jamais
été marié.
Pour ma part
je préfère croire à l’histoire d’amour contrariée, parce que ce nom de « Nicolas »
qu’elle choisit pour son premier fils me semble très étrange. C’est ce qui fait
le charme de la généalogie, de pouvoir redonner vie à ces histoires oubliées
mais qui, de leur temps, on certainement fait jaser dans tout le voisinage des
protagonistes.
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Arbre descendant de Joseph Nicolas et de Claire Charrin (jusqu'à mon arrière grand-père) |
SOURCES (aux
archives municipales d’Orange)
Acte de
naissance d’Etienne Eutrope Nicolas, 27 mai 1816
Jugement du
Tribunal civil d’Orange du 20 juin 1833 retranscrit en mairie le 24 juin
portant sur l’omission d'inscription de Michel et Marie Charrin sur les registres
de la ville d’Orange.
Acte de
mariage de Joseph Nicolas et de Claire Rose Charrin, 26 juin 1833